Témoignage 5 – Isabelle

Notre expert

Désir d’enfant – infertilité – deuils – fécondité 
Histoires de femmes et de couples: mort et renaissance 

 

Isabelle

 

J’ai perdu mon bébé jeudi 28 mai.

 

J’ai appris le 9 avril 2009, lors de l’échographie du 5ème mois, que la petite fille que je portais était gravement malformée. Il s’agit d’une malformation du tube neural, c'est-à-dire du système nerveux qui a atteint sa colonne vertébrale et en plus son cerveau (hydrocéphalie). J’ai été orientée et suivie à l’hôpital N. Au fur et à mesure des échographies, les infirmités étaient grandissantes. Le pronostic au niveau neurologique sur le plan de la motricité des membres inférieurs, sphinctérien, anal et vésical et sur le développement cognitif était sévère. J’avais besoin de beaucoup de silence pour accueillir l’évènement avec mon mari tout en préservant l’équilibre/la vie de notre famille et de notre couple (nous avons trois aînés de 7, 5 et 2 ans).

 

Tout en préservant le silence, nous avons été immédiatement accompagnés par des personnes que nous avons choisies ou qui se sont trouvées sur notre chemin et qui se sont révélées être des personnes de grande qualité d’écoute, de conseil, de prière, d’intelligence dans la situation car un choix en conscience s’imposait pour accueillir ou non notre enfant gravement souffrant. Je souhaite nommer notamment une amie pédiatre hospitalier, un gynécologue et un neurochirurgien de l’hôpital N., le pédiatre de mes enfants, mon médecin généraliste, une amie psychologue, un médecin directeur et l’aumônier de l’hôpital N. Nous avons préservé le silence pour éviter une hémorragie de paroles et pour concentrer notre cœur et notre intelligence sur notre petite fille.

 

Nous avons fait, mon mari et moi, un chemin différent. Il a fallu prendre une décision commune qui devait nous ouvrir à la vie. Il nous a fallu beaucoup de temps, de larmes, de cris, de nuits blanches, de silence. Nous avions aussi besoin du rire et de la joie de nos enfants. Nous sommes partis mon mari et moi, seuls en bord de mer en Bretagne, pendant un week-end. Chacun nous devions remplir un tableau : ce qui me donne la paix/ce qui me fait peur dans l’accueil de l’enfant et dans l’IMG (Interruption Médicale de Grossesse). J’ai opté, avec mon mari pour l’accueil de cet enfant, en anticipant sur l’organisation que cela impliquait. Cependant, la sérénité trouvée lors de ce week-end n’a duré que 48 heures. J’ai eu très vite le sentiment que ma vie serait plombée et que j’allais perdre pied. En réalité, je me suis aperçue que jamais je n’aurais une idée claire dans ma tête. J’oscillais entre accueil et l'IMG sans jamais trouver la sérénité.

 

Après avoir mis à nouveau devant moi l’objectivité du dossier médical de notre enfant, j’ai pris la décision le jeudi 14 mai d’aller à l’IMG, laquelle a été fixée au 28 mai 2009. Au fur et à mesure des jours qui passaient, nous avons constaté que la sérénité s’installait en chacun de nous et dans notre couple, que la tempête s’apaisait. C’était une vérification dans la durée que notre décision était la bonne décision. C’est ainsi que nous nous sommes préparés à l’IMG : nous avons à nouveau rencontré le gynécologue de l’hôpital. Mon mari m’a accompagnée lors du rendez-vous avec la sage–femme et avec l’aumônier de l’Hôpital.

 

Mon mari m’a accompagnée le mercredi 27 mai à l'hôpital N. Le médecin de garde nous a à nouveau confirmé que la malformation de notre bébé était très grave. Le 28 mai, mon mari a été présent auprès de moi toute la journée.

 

Notre petite fille est décédée à 12 heures 30.

 

Juliette est née morte à 16 heures.

 

Elle nous a été présentée couverte d’un bonnet,  d’une couche dans un lange. Son corps était beau mais souffrant. J’ai pu la prendre dans mes bras et nous l’avons contemplée, aimée, pleurée. Deux amis nous ont rejoints ainsi que l’aumônier de l’hôpital et nous avons prié autour de notre petite fille Juliette. L’aumônier a béni notre petite Juliette qui était alors dans mes bras. Puis je me suis reposée, seule, tandis que mon mari est rentré à la maison pour annoncer à nos trois aînés que le bébé était mort.

 

Le 29 mai, j’ai revu le gynécologue de l’hôpital qui a pris le temps de me recevoir dans son bureau. J’ai rencontré également la psychologue de l’hôpital. Puis j’ai revu notre petite Juliette. J’ai demandé à voir son dos. J’ai vu le trou au bas de son dos mais je n’ai pas souhaité voir la boule au-dessus des fesses. Juliette a été ensuite amenée à la Chambre Mortuaire.

 

Une amie est venue me chercher à l’hôpital et nous sommes parties toutes les deux près de la mer où mon mari et mes enfants nous ont rejoints le soir. Nous avons pris le temps de nous reposer et de nous retrouver en famille pendant trois jours. Puis la vie a repris ; les enfants sont retournés à l’école, mon mari a repris son travail. Le temps des vacances d’été nous a permis de nous reposer à nouveau. Nous avons organisé une petite célébration avec nos trois enfants autour de Juliette pour aider nos enfants à faire le deuil de leur petite sœur.

 

J’ai consigné dans un livret de vie dédié à Juliette les étapes de notre discernement, les dessins des enfants durant cette période et les messages d’affection que nous avons reçus. Le thème de la mer ayant été présent dans notre discernement, je peux dire aujourd’hui que c’est la tempête apaisée.

 

Aujourd’hui, cinq ans après, lorsque je relis ces lignes, la paix est toujours là. Bien sûr la blessure de la perte de cet enfant est présente, plus ou moins vive, selon que je me sens agressée par les phrases à l’emporte-pièce de personnes qui prônent «le principe non négociable du respect de toute vie commencée». Ces personnes, bien souvent, n’ont pas eu à passer par des épreuves comme la nôtre. Il faut alors que je m’entraine à passer mon chemin et à ne pas ruminer contre elles. Dans ces circonstances, je me remémore le long chemin de discernement que nous avons fait et ma prière s’élève pour que des personnes qui seraient confrontées à la même épreuve que nous trouvent à leur tour des personnes ressources pour les aider à poser un choix de vie, quel qu’il soit. 


Par Anne Jeger, psychologue clinicienne et thérapeute.
Elle assure le suivi de couples infertiles,
de femmes vivant leur grossesse avec difficultés,
et de couples traversant un deuil périnatal.

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