Sommeil: rêves, cauchemars, somnambulisme au sein de la famille

Résumé d'une conférence du Docteur Gérard Salem, Psychiatre FMH, thérapeute de famille, Privat-docent à la Faculté de médecine

J'enchaîne à la suite de mes confrères sur le sujet troublant du sommeil dans la famille, le sommeil et ses aléas, ses troubles, ses mystères. Comment cela se passe au sein de la famille, groupe naturel, à interactions fortes, qui a l'habitude de vivre ensemble, qui ne sait plus trop où commence son territoire personnel, où s'arrête le territoire commun familial.

Dormir: est-ce l'indice d'une tranquillité intérieure? Est ce que cela veut dire que je m'autorise à me décontracter, à lâcher prise?
Oui et non, c'est trop facile de penser cela. Quand on s'endort, on se laisse aller à une autre sorte de contrôle en nous, différent de celui de l'état de veille.
Quel est-il? Celui de l'inconscient et de son contenu? Est-ce quelque chose qui relève d'une instance encore moins saisissable, comme une veilleuse intérieure qui veille sur nous pour qu'on puisse dormir?
L'acte de se livrer à l'obscurité, à l'abandon de soi, n'est pas un acte naturel.

L'insomnie a une vertu signalétique: si l'enfant ne s'abandonne pas au sommeil, c'est qu'il n'a pas confiance dans la bonne marche des choses, qu'il a peur de quelque chose, qu'il est inquiet. Souvent l'enfant insomniaque est un veilleur inconscient et inquiet pour la famille (conflit grave..)

Lorsque nous dormons nous sommes très actifs. Notre hormone de croissance travaille beaucoup et si les enfants ne dorment pas assez, ils grandissent moins. Nous sommes également très actif au niveau mental (sommeil paradoxale, sommeil lent). Cette activité se passe dans notre "arrière-pays" de la conscience, cet "Hinterland" qui est un immense stock de données (mémoire, souvenirs…) Lorsque nous dormons nous faisons un travail de construction, de reconsolidation des souvenirs, nous nourrissons notre intelligence, la développons, plaçons les problèmes là où il faut les mettre car en état de veille on n'a pas le temps de le faire, cela nous envahi la conscience.

Dans cet "Hinterland" il y a des tas de choses non significatives et sans importance, mais aussi il y a des choses refoulées, qui nous dérangent, nous font peur, honte, mal. Cet "Hinterland" permet de stocker, au moins un moment, ce qui encombre ou dérange notre conscience .

A d'autres moments nous sommes en accès direct avec notre "Hinterland", qu'on le veuille ou non:

  • Lors de la transe ordinaire de tous les jours ou la petite hypnose qui survient environ toutes les 90/ 120 mn, chez tout le monde et dont nous avons besoin. C'est une petite distraction ("oh j'étais dans la lune…"). Là on accède à ces données cachées (souvenir d'enfance qui remonte…)
       
  • Lors de la transe provoquée: hypnoses naturelles de la vie quotidienne provoquées du dehors (coup de foudre, l'inspiration d'un musicien…), lors de la fascination pour quelque chose (film, match…), lors de jeux hypnotiques (au cirque…), lors d'hypnose chimique (drogues, alcool…), lors d'hypnose thérapeutique (le médecin, pour nous soigner, nous apprend à jouer avec notre conscience entre le sommeil et la veille, pour savoir aller chercher en nous l'aide qui va nous aider à changer quelque chose dans notre vie)

Lors de moments naturels: au moment de l'endormissement (hallucinations…), quand on dort (notre mémoire travaille), quand on rêve (le rythme du rêve - toutes les 90/120 mn- ressemble au rythme de la transe de la conscience en pleine veille la journée)

Lorsqu'on rêve on est très actif. De nombreuses techniques d' études existent pour étudier le sommeil sur des dormeurs volontaires.

Qu'est-ce-que le sommeil au sein de la famille? Va-t-elle m'enseigner à utiliser le sommeil de façon adéquate, va-t-elle m'autoriser à m'endormir… ?

  • Il y a ce qu'apporte l'éducation, au niveau de l'apport de l'émotion, sur les rapports de fond entre notre tempérament, notre constitution et notre éducation, notre formation, notre sensibilité telle qu'elle a été déguisée ou non.
      
  • Et il a y des situations problématiques, liées au tempérament lui-même:
    • Certaines personnes dorment mal car elles sont très émotives: c'est une question de tempérament et non d'éducation.
      Elles peinent à bien dormir, sont souvent en état de vigilance et d'inquiétude car elles sont trop sensibles à ce qui se passe autour d'eux.
    • Et il y a des gens non émotifs, comme blindés devant les choses, non attribuable à l'éducation:
      C'est le trouble de l'alexithymie: c'est une personne incapable de lire son émotion ou celle des autres. Elle est dans une sorte d'indifférence émotionnelle et est plus exposée que les autres aux maladies psychosomatiques (ulcères, asthmes, douleur rebelles…) car elle ne sait pas lire, dire son émotion. Or cette émotion est aussi évacuée par le corps qui fonctionne comme un paratonnerre.

A quoi ça sert de rêver ?

Les rêves…Il y a des rêves très classiques (on tombe dans un trou…) et il y a les autres….

  • Ces rêves d'un genre indésirable (honte, culpabilité, souvenirs qu'on souhaite oublier…)
  • Répétitifs permettent souvent l'évacuation de quelque chose. C'est un travail de nettoyage de l'âme.
  • Rêver de la mort de quelqu'un qu'on aime est parfois le signe d'un conflit mal réglé, d'une chose qui dérange avec cette personne.
  • Ce peut être la mémoire d'un traumatisme subi par toute une famille, dont elle ne veut pas se souvenir. Un membre de la famille se souvient pour tous les autres. Ce faisant, il rappelle qu'il y a un problème à régler au sein de la famille.

On peut ne pas se souvenir de son rêve: ce peut être le signal de quelque chose qu'on porte en soi, et qui bloque nos rêves mais on ne peut pas ne pas rêver, c'est une question de survie: on aurait d'abord des hallucinations puis des dérèglements du corps qui peuvent être mortels,…

  • Les somnambules et ceux qui parlent pendant la nuit: ça se passe pendant le sommeil lent profond, le cerveau ne les vit pas et tout ce qu'on fait ou dit sont des comptes que l'on règle avec son "Hinterland".
  • Les rêves prémonitoires: Est-ce une capacité qu'a notre cerveau, notre sensibilité de vraiment anticiper la logique d'une situation comme elle pourrait se dérouler? Je suis sans réponse face à ce type de situation, mais une chose que l'on peut noter est qu'entre vrais jumeaux il existe des capacités télépathiques incroyables dont j'ai été témoin: par où passent ces informations, par quel "Hinterland" passe cette circulation des choses? Je ne sais pas.

Il existe parfois un "Hinterland" familial, un inconscient collectif qui contient les données de tout le monde, comme ci chacun n'est pas assez individualisé des autres.

La recherche dans ce domaine est très développée actuellement et c'est passionnant.

Questions

1- Vous avez parlé de familles dans lesquelles on dort, et d'autres dans lesquelles on dort moins. Est ce que la qualité et la quantité de sommeil vient de l'éducation ou de l'hérédité?
Plutôt de l'habitude et l'éducation. Si certaines personnes changent leur regard sur elles (par ex. moi je suis du soir et pas du matin), elles peuvent changer leurs habitudes. Le comportement sommeil est très souple avec le travail, l'environnement. Mais dans chaque famille il y a plutôt de tout. Il n'y a pas des familles dormeuses et d'autres non dormeuses. Ce n'est pas génétique.

2- Comment faire pour apprendre à un adolescent de mieux réguler son sommeil, à ce qu'il ne veille pas trop pour ensuite faire des immenses grasses matinées… ?
Les adolescents….moi je les provoque en leur disant de tenir bon jusqu'à telle heure. Les ados adorent les défis et les challenges. Mais dans un cadre familial, c'est difficile de les provoquer.
"Le sommeil avant minuit est meilleur" est un dicton. En revanche, il a été démontré qu'il faut entrer dans le sommeil au moment de la fin d'un cycle, ou au début d'un cycle de sommeil (toutes les 90/120 mn) On peut changer ses rythmes et certains du soir peuvent devenir du matin.

3- Que pouvez-vous dire sur les terreurs nocturnes?
Le conférencier rappelle la conférence du docteur Challamel qui parlait de ces terreurs.
Il ne faut pas les confondre ni avec le somnambulisme, ni avec le sommeil. Elles ont lieu au cours du sommeil lent profond. L'enfant hurle tout en étant pas réveillé. C'est quelque chose qui est à l'état vigile, la peur qui survient pendant la nuit est quelque chose lié à la conscience de veille. Théorie controversée. Certains disent que c'est plutôt lié au sommeil, que c'est incontrôlable par l'enfant. Mais ce qui me frappe c'est de constater que ces enfants sont toujours dans des familles où il y a beaucoup de problèmes. Problèmes de couple…Ces pressions de la vie familiale communautaire influencent sur les terreurs nocturnes et leur déclenchement et les terreurs changent ou s'arrêtent si le couple va mieux. Comment l'expliquer, comment est-ce que c'est vraiment relié au sommeil? Je n'ai pas une réponse très satisfaisante, je pense que c'est lié à l'angoisse relationnelle familiale affective, mais je ne peux l'affirmer à coup sûr.

4- Les cauchemars et leurs significations:
On refoule dans notre "Hinterland" un certain nombre de frustrations, de carences, de conflits qu'on accepte pas à l'état de veille. Notre âme en est peuplée et le rêve fonctionne comme une évacuation. Si ça se répète, ça peut avoir aussi une vertu signalétique: quelque chose n'est pas réglé et doit l'être. Même chose pour les douleurs rebelles: il y a quelque chose qui doit être réglé. Le coté positif c'est que s'il n'y a pas la douleur ou le cauchemar pour signaler le problème, on ne le sait pas.

5- Changement de rythme dans le sommeil de mon enfant: à 18 mois il faisait une sieste, à 20 mois, il n'en veut plus mais s'endort tôt vers 17h, et se réveille ensuite. Faut-il le laisser dormir quand il a envie?
Je ne suis pas pour laisser dormir un enfant quand il a envie. Il doit apprendre à acquérir un rythme (nuit/ jour) mais il ne faut pas l'embêter s'il ne veut plus de sieste. On peut aussi abrutir un enfant en le faisant dormir car un enfant qui dort permet d'avoir la paix! Ce n'est pas votre cas bien sur!

6- Somnambulisme: mon fils de 26 ans est un grand somnambule et cela me fait beaucoup de souci car on m'a dit que son état était intraitable.
C'est faux, il y a des thérapies qui sont de type psychologique ou hypnotique. Ce n'est pas radical, mais cela peut l'aider. De même que certains somnifères existent et il faut peut-être aller voir ailleurs.
On peut aussi utiliser la prescription paradoxale: surtout ne dort pas avant telle heure. La simple envie de contrarier celui qui prescrit ça, fait qu'on dort. Ou bien je peux te voir alors que toi tu ne le sais pas, je peux veiller sur toi…

7- Le rêve: peut on le reprendre en cours de route?
On influence nos rêves par ce qu'on fait dans la journée. Les gens qui font une psychothérapie Freudienne font des rêves très freudiens, et ceux qui font une psychothérapie Jungienne font des rêves Jungiens... Mais nos rêves sont une forme de liberté et on ne peut pas trop leur prescrire ce qu'on doit rêver. Et heureusement que quelque chose en nous reste fou et libre.

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