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Les auteurs de harcèlement scolaire : Personne ne m’a arrêté

Les auteurs de harcèlement scolaire : entre ignorance, impunité et recherche de popularité

« Personne ne m’a arrêté »


 
Un article écrit par Anne Jeger, psychologue clinicienne et Vice-présidente de l’association VIA

Le harcèlement à l’école est un fléau qui touche de nombreux élèves à travers le monde.

On parle souvent des victimes, mais qu’en est-il des harceleurs, des auteurs, des intimidateurs ? 

D'aucuns continuent de harceler sans réaliser l’ampleur des dégâts qu’ils causent, tandis que d’autres poursuivent par manque de sanctions ou parce que cela renforce leur statut social et leur popularité.

Certains vont même jusqu’à espérer, consciemment ou non, qu’on les arrête. 

Qui sont les auteurs de harcèlement ?

De quoi tenir compte pour agir efficacement ?

Qui est l’enfant harceleur ?

Il n’est pas vraiment possible de dresser le profil d’un enfant harceleur. 
Par contre, ce qui à mon sens est très important à signaler, c’est qu’un enfant ou un adolescent qui en harcèle un autre, n’est pas forcément un élève « mauvais » par nature. Son comportement est souvent influencé par divers facteurs psychologiques et sociaux.

Les mécanismes psychologiques
Nicole Catheline, pédopsychiatre, explicite les mécanismes psychologiques sous-jacents au harcèlement entre pairs dans son livre Le harcèlement scolaire.

« La perception de la différence d’un enfant en met à mal un autre. En effet, face à la différence de l’autre, un enfant peut réagir de deux façons : soit il s’éloigne de celui qui est différent ou qu’il perçoit comme tel ; soit il se sent touché par cette différence qui le renvoie à ses propres différences.

Le harcèlement est donc une autre manière de réagir et de répondre à la différence. Il est intolérable pour le futur harceleur de tomber dans une telle situation de faiblesse. Chez sa victime, le harceleur reconnaît une faille qu’il ne veut pas voir chez lui. Le harceleur pratique volontiers la dénégation, je ne suis pas comme ça, tandis que la victime pratique l’évitement, je ne comprends pas pourquoi je subis ça. Ils ont tous les deux un point commun : il se ressentent comme différents. »


Dans l’image de ce camarade en position de faiblesse, il voit la sienne, qu’il tente de fuir : celle d’un enfant fragile.

L’ignorance des conséquences
Beaucoup de jeunes harceleurs ne réalisent pas la gravité de leurs actes.

Pour eux, ce ne sont que des moqueries, des « blagues » ou des défis sans répercussions. Ils ne voient pas la détresse de leur victime, qui peut pourtant subir des conséquences psychologiques graves à court, moyen et long terme : anxiété, perte de confiance, isolement, dépression voire tentatives de suicide.

Certains auteurs de harcèlement ne mesurent leur impact que bien plus tard, parfois après avoir vu une ancienne victime en souffrance ou après avoir eux-mêmes vécu du rejet et de l’humiliation par des pairs, un parent ou un enseignant, ou après s’être rappelé ces épisodes en consultation « oui j’ai harcelé un camarade quand j’avais 12 ans je me souviensmais personne ne m'a arrêté ! » (dixit).

Une partie d'entre eux finit  par ressentir de la culpabilité ou une forme d’isolement social en raison de leurs actes, mais ils peuvent avoir du mal à demander de l’aide ou à changer leur comportement seuls.

L’éducation, la sensibilisation et la prévention sont essentielles pour leur faire comprendre rapidement les effets et conséquences de leurs comportements sur les autres qui auront un impact à long terme.

L’effet de groupe et la recherche de popularité
Le harcèlement n’est pas toujours un acte isolé. Il est souvent encouragé par un effet de groupe.

Être perçu comme « fort », « drôle », « dominant » peut donner un sentiment de pouvoir, renforçant ainsi la popularité du harceleur. Il a souvent, intrinsèquement, besoin d’être aimé, reconnu, valorisé et de regagner de la puissance quand il en a perdu dans d’autres circonstances.

Dans certains cas, celui qui harcèle cherche à éviter d’être lui-même la cible. Il préfère s’attaquer aux autres, se tenir sur la défensive, pour exister dans un environnement où les rapports de force sont omniprésents. D’autant plus à l’adolescence.

Les réseaux sociaux amplifient ce phénomène : humilier quelqu’un en public peut rapporter des « likes » et des commentaires encourageants, rendant l’acte encore plus valorisé par le groupe.

Selon plusieurs travaux en psychologie sociale et développementale sur les dynamiques du harcèlement scolaire, on distingue :

- le harceleur dominant : souvent charismatique, il cherche à asseoir son pouvoir sur les autres, motivé par un besoin de domination et de contrôle.

- le harceleur en réaction : parfois anciennement victime, il reproduit la violence qu’il a subie en adoptant un rôle d’agresseur pour éviter d’être lui-même pris pour cible.

- le harceleur suiveur : moins sûr de lui, il participe au harcèlement pour se conformer au groupe et éviter l’exclusion sociale.

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L’absence de sanctions ou de réactions des adultes
Les règles scolaires du vivre-ensemble donnent un cadre à respecter dans le but d’organiser la vie à l’école et protègent chaque élève.
Nous sommes tous responsables des actes que nous posons. Si nous transgressons les règles, nous serons sanctionnés. C’est la loi.

Parents et enfants doivent impérativement connaître ces règles.

Lorsqu’il n’y a pas de règles claires et donc de conséquences claires, certains harceleurs se sentent intouchables et continuent en toute impunité.
Même lorsque des victimes parlent, il arrive que des directions ou des enseignants minimisent les faits, considérant cela comme de simples conflits entre élèves. Cette passivité envoie un mauvais signal : elle légitime, voire encourage le harceleur à poursuivre ses actes.

« Pas de sanction, donc je peux recommencer. Je fais rire les autres, donc je peux recommencer. Personne ne m’arrête,  donc je peux continuer. » (dixit)

 Voir aussi cet article : Le harcèlement à l'école, le prendre au sérieux, le prévenir et agir rapidement

Pourquoi certains harceleurs demandent à être arrêtés ?

On pourrait croire que les harceleurs ont du plaisir à faire ce qu’ils font, mais ce n’est pas toujours le cas. Certains, pris dans un engrenage relationnel systémique, en viennent à espérer secrètement qu’on leur mette des limites pour sortir du rôle de harceleur, de leader du groupe, de meneur… Ils se trouvent épuisés par la pression du groupe.  

  1. Une prise de conscience tardive
    Au cours d’échanges avec des médiateurs scolaires ou l’infirmière de l’école, certains auteurs de harcèlement prennent conscience du mal qu’ils ont causé et cessent leurs agissements. Pour d’autres, il est plus difficile de faire marche arrière : s’excuser revient à reconnaître ses torts, ce qui peut être effrayant. Ils continueront par fierté, par peur de perdre leur position sociale ou par vengeance après dénonciation.

  2. Tester l’autorité
    Certains jeunes testent l’autorité des adultes et attendent inconsciemment qu’on leur dise « stop ». Si personne ne réagit, ils risquent d’aller toujours plus loin.

  3. Enfants en souffrance
    Il arrive que des harceleurs expriment un mal-être caché derrière leurs actes agressifs.  Certains souffrent eux-mêmes : maltraitance à la maison, manque de reconnaissance, frustration personnelle… Harceler devient alors un moyen de canaliser leur propre douleur, même s’ils aimeraient secrètement en sortir, ou l’évacuer sur un autre pour moins souffrir. 


Que peut-on faire pour stopper le harcèlement à l’école ?

  1. Sensibiliser dès le plus jeune âge
    Il est essentiel d’enseigner aux enfants l’empathie et les conséquences de leurs actes dès le primaire. Des campagnes de sensibilisation à l’école aident à prévenir le harcèlement avant qu’il ne commence.

    Au sein de l’association VIA, nous proposons des ateliers de prévention et de sensibilisation auprès d’enfants, de jeunes, de parents et de professionnels qui se sentent concernés par le sujet.

  2. Former les enseignants et les encadrants

    Les adultes doivent être capables d’identifier rapidement une situation de harcèlement et d’intervenir efficacement. 

  3. Impliquer les témoins en groupe
    Les autres élèves peuvent jouer un rôle clé et briser l’effet de groupe en se mettant à plusieurs : en dénonçant les actes, en soutenant les victimes ou en refusant de rire aux moqueries.

  4. Collaborer avec les parents
    « Pour prévenir le harcèlement scolaire, parents et enseignants doivent se donner pour priorité d’établir une relation de confiance réciproque. Ils doivent apprendre à s’écouter, à apporter du crédit aux propos de l’autre, à échanger sereinement. Le climat scolaire a donc un effet déterminant : plus il est dégradé, plus grand sera le nombre de situation de harcèlement.
    Et le climat scolaire dépend : de la qualité du bâtiment scolaire, des relations entre enseignants et élèves, leur niveau moral et leurs engagements, les questions d’ordre et de discipline, les problèmes de violence, de harcèlement, et d’intimidation entre élèves, mais aussi entre élèves et enseignants, et l’engagement des élèves. » Nicole Catheline
  5. Appliquer des sanctions adaptées : règles explicites et protocoles clairs

    Il faut se rappeler que le but des entretiens avec les enfants victimes de harcèlement scolaire et les auteurs des faits est d’aider à réguler les émotions d’enfants et d’adolescents qui sont encore immatures sur les plans émotionnel et cognitif. Et c’est ainsi aider à réguler les relations au sein du système qui a généré du harcèlement.

    Plutôt que de punir uniquement par des exclusions ou des avertissements, il s’agit de chercher à comprendre avec les harceleurs les raisons de leur comportement en vue d’encourager un changement positif.
    Les auteurs avérés de harcèlement doivent être tenus responsables de leurs actions. Chercher à comprendre leurs motivations explicites et implicites impliquent des entretiens, voire des sanctions éducatives réparatrices et/ou des mesures disciplinaires. Tout ceci doit se faire en collaboration avec les parents.


Comprendre les auteurs de harcèlement, c’est mieux lutter contre le harcèlement scolaire. Il ne s’agit pas de justifier leurs actes, mais de les prévenir en déconstruisant les mécanismes qui les alimentent.

Si la protection des victimes reste la priorité, il ne faut pas oublier que les harceleurs eux-mêmes sont parfois en détresse et nécessitent un accompagnement pour briser le cycle de la violence.

Une approche éducative et empathique peut leur offrir des alternatives pour s’exprimer autrement et évoluer vers des relations plus saines. De plus, il est indispensable que les établissements scolaires renforcent leur cadre disciplinaire afin de prévenir l’impunité et d’instaurer un environnement où le respect et la bienveillance sont valorisés.

Exemples concrets

Témoignages :

Jérôme, 24 ans, raconte son adolescence marquée par des actes de harcèlement qu’il a exercé sur ses camarades. Aujourd’hui adulte, il revient sur son parcours :
« À l’époque, je ne réalisais pas à quel point mes actes pouvaient blesser les autres. J’avais l’impression que c’était juste des blagues, mais en réalité, c’était une manière pour moi d’exister, de me sentir fort. Chez moi, l’ambiance était pesante, mes parents se disputaient souvent, et je me sentais impuissant. Harceler les autres me donnait un sentiment de contrôle, mais au fond, j’étais malheureux. C’est seulement après en avoir parlé avec un psychologue que j’ai compris pourquoi j’agissais ainsi. Aujourd’hui, je regrette profondément et j’essaie d’aider les jeunes à ne pas tomber dans ce piège. »

 

Valentin, un ancien harceleur, a témoigné publiquement de son parcours. Adolescent, il rabaissait et moquait certains camarades sans réellement se rendre compte du mal qu’il leur faisait. Avec du recul, il explique qu’il était influencé par le regard des autres et qu’il voyait ses actes comme un jeu. C’est en grandissant qu’il a pris conscience de la souffrance qu’il avait causée. Aujourd’hui, il milite contre le harcèlement scolaire et encourage les jeunes à se remettre en question.
Son témoignage ici : À l’école et au collège, j’ai été harceleur  

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