Elles ressemblent aux bonnes fées qui se penchent sur le berceau des nouveau-nés. Elles, ce sont les éducatrices de la crèche Haut-Lac-Les Marronniers, qui a ouvert ses portes en novembre 2014, à Vevey. «Nos éducatrices s’occupent de 28 enfants de 18 mois à 3-4 ans, explique Annika Woehr, directrice administrative de la crèche privée. Et elles appliquent le concept une personne, un langage». Autrement dit, l’enfant identifie une personne à une langue, anglais ou français. «Les activités se déroulent à la fois dans les deux langues, précise Mme Woehr. Si un enfant ne comprend pas la première éducatrice, la seconde répète dans l’autre langue». Les parents ont la volonté de développer, voire de programmer les aptitudes de leur enfant. «Nous sommes à côté de Nestlé, nous avons donc des familles d’expatriés qui parlent anglais au travail, souligne Mme Woehr. Mais nous avons aussi des familles locales qui veulent que leur enfant commence le plus tôt possible». Quel que soit l’environnement familial, l’objectif est souvent de l’acclimater et de placer ainsi Junior, en «pole position» sur le chemin du bilinguisme.
Le bilinguisme n’a pas toujours été bien considéré. Dans le passé, certains psychologues pointaient d’éventuelles confusions à s’exprimer dans deux langues différentes et estimaient que les ressources intellectuelles étaient endommagées. De nos jours, c’est l’inverse, être monolingue dans un monde globalisé est un handicap. De là, à se précipiter dans les crèches bilingues, il n’y a qu’un pas que s’empressent de franchir des parents soucieux de l’avenir de leur enfant. Si l’intention est louable, elle doit d’abord s’appuyer sur un vrai besoin. L’enfant est pragmatique et il parle volontiers anglais, français, allemand si la situation le demande. En classe, à la maison, dans un entourage familial multiculturel, il peut trouver de bonnes raisons d’échanger dans une autre langue. A contrario, s’il n’a pas de motivation, son intérêt retombe et il redevient naturellement monolingue. Dans son dernier livre, “Parler plusieurs langues: le monde des bilingues“, François Grosjean, ancien directeur du Laboratoire de traitement du langage et de la parole à l’Université de Neuchâtel, estime que l’on peut très bien devenir bilingue à l’adolescence ou à l’âge adulte. Il n’y a pas de date limite et tout ne se joue pas à la petite enfance. En le confiant à une garderie bilingue et sans pression excessive, les parents peuvent miser sur l’éveil de leur enfant. Curieux et réceptif de nature, il en tirera des bénéfices quoi qu’il arrive.
Son cerveau flexible assimile aisément sans forcer, les sons, les mots. Mais avant toute chose, l’important pour le jeune enfant est de se sentir en sécurité, d’avoir des repères. Au début durant la semaine d’adaptation, nous pouvons lui dire des phrases dans sa langue d’origine, tout en lui parlant en français ou en anglais», décrit Mme Woehr. Bienveillance et attention sont les clés d’un apprentissage serein pour ces bouts de chou. Les progrès varient forcément d’un enfant à un autre. Chacun avance à son rythme, selon qu’il soit timide ou bavard. «Après plusieurs mois, tous absorbent ce que nous leur disons, remarque la directrice. Même si certains ne parlent pas encore, on voit qu’ils nous comprennent». En grandissant et s’il continue à entretenir ses compétences, l’enfant renforce son aisance, sa confiance. La familiarisation précoce ne l’empêche pas pour autant de faire des fautes mais à la différence d’un enfant monolingue, il n’a pas peur de se tromper ou de paraître ridicule. Pour être pleinement assimilée, une langue doit être vivante, ressentie comme porteuse de valeurs culturelles, personnelles. Plus tard, il se rendra aussi compte de l’avantage utilitaire et compétitif sur le plan professionnel. En attendant, il est l’heure de lui raconter une histoire… en français, en anglais ou en allemand.
François Jeand’Heur
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